thème.« Du charbon ? » « Non, de la pierre… » La voix railleuse d’un nain résonna quelques secondes dans le goulot, alors qu’elle haussait doucement les épaules. Malgré une taille fine, sa hauteur n’arrangeait pas sa progression dans ce qui était presque une fissure en réalité. Yava était chasseuse de démons, née pour les traquer et les retrouver, et si un démon n’aurait pu avoir le dessus sur elle, une caverne entière, elle, le pouvait aisément.
« Ne parle pas trop fort, malheureuse ! » sifflait l’un des nains, quand l’autre ricanait derrière sa barbe épaisse. Le cortège était étrangement composé. Des nains, oui, des elfes aussi. Elle avait même croisé trois centaures différents et se demandaient encore comment ils avaient fait pour passer la fissure sans s’abîmer les cuissots. Tout d’abord impressionner par les sabots des bêtes, elle avait fini par tout oublier, jusqu’à marcher sans faire attention. Une fois elle avait relevé le nain sans voir un nain et lui avait marché dessus. La collision avait fini en bain d’injures grommelées, mais ça n’avait jamais été plus loin. L’ambiance était à la méfiance, à la prudence. Avancer dans une caverne sombre où les squelettes jonchent le sol et où un mage noir fait des sacrifices, ça n’avait rien d’une balade de santé, et ça tout le monde en était bien conscient.
On lui avait dit de se méfier des nains, mais des quelques-uns qu’elle avait vu, dont en particulier la Confrérie du Roc, il n’en ressortait que de petits êtres grincheux et moqueurs, parfois piquants, mais rarement agressifs. Komodo le premier. Yava marchait et discutait tantôt avec le dresseur de loup – tout du moins c’était ce qu’elle croyait qu’il était – et un autre, au casque doré, un chef de guilde ou peut-être un chef des nains, elle n’en savait trop rien. Il y avait également un petit homme à la barbe fournie et noire, dénommé Barnek, et un plutôt silencieux appelé Darek. Le cortège, silencieux parfois, grinçant d’autres fois, se suivait donc.
Passée un labyrinthe de rochers énormes et lourds, Yava s’arrêta quelques instants. Une nouvelle fissure les attendait, longue et fine, ne pouvant laisser passer qu’une seule personne à la fois. Selena fut la première à passer – tout du moins la première qu’elle fut. Le cortège était assez vaste, d’une vingtaine de personne, aussi la rousse ne faisait pas attention à tout le monde. Les nains disparaissaient entre les elfes, mais Yava remarqua que Komodo semblait épuisé. Elle eut un sourire, fixa sa concentration sur lui et par quatre fois tenta de lui faire ressentir l’aisance du loup, sa puissance également. Elle dut regarder le jeune loup qui lui servait de compagnon, s’inspirant de son regard pour pouvoir rejeter sur lui cette résistance bestiale qu’ont les animaux, même si profonds sous terre. Le nain alla tout de suite bien mieux, et le cortège reprit. Les nains passèrent, et la jeune rousse suivit dans le silence des cavernes, le cliquetis des gouttelettes glissant des murs rythmant la marche comme la respiration de chacun.
L’ambiance était tendue. Le quartier des mages sentait encore le sang, de fines gouttelettes répandues sur le sol. Un coffre ouvert attendait ici, une chaise retournée là. Il y avait déjà eu du passage. La rousse ne pensait qu’au moment unique où elle ferait face au démonologue, où elle verrait dans son regard la noirceur d’une âme torturée. Cette seule pensée lui permettait d’avancer et d’oublier les longues journées – combien ? elle l’ignorait – qu’elle venait de perdre au fond de cette caverne, d’oublier les longues journées où sa tête n’avait pas été rempli par l’image de Callisto. Elle soupira, fit quelques pas mais s’arrêta brusquement.
Ses sourcils se froncèrent aussitôt. Devant elle, un nain frappait un haut-elfe d’une telle violence qu’elle cligna des yeux en entendant résonner le choc de l’arme contre l’habit de l’elfe. Le nain, dénommé Darek, frappait alors brutalement son adversaire, Ranëwenn. Ce qui s’était passé entre eux ? Elle l’ignorait sincèrement. Eux qui avaient marché des jours entiers se retrouvaient à se frapper sans aucune raison. Etait-ce parce qu’il était possédé ? Ou était-ce tout simplement ça, cette petite chose que l’on appelait « la haine des nains » envers les elfes ? Et si oui, était-elle la prochaine ? Son regard circulaire fut clair : elle était seule, et ils étaient trois nains. Trois nains, dont un qui cognait sans raison. Elle fulmina sur place, hurlant aux individus khazads d’une voix tonnante, sa crinière rousse la faisant devenir une minute seulement une de ces furies antiques :
« Mais cessez donc de vous battre !
N'avons-nous rien de mieux à faire que de vous cognez dessus bêtement ? »Elle les fixa, et dans ses yeux se lisaient à la fois l’incompréhension du geste mais aussi le désarroi. Alors c’était ça, l’important ? Se tuer pour du néant et laisser un mage fou faire sa loi ? Elle n’avait pas eu de nouvelles du front, pas de missives, rien. Ses amis étaient peut-être mort – Crépuscule avait disparu avec Erevan et Alonia – et eux s’amusaient à se frapper dessus ? Mais par quelle divinité osaient-ils ?
Elle resta statique, sans aucune attention de les tuer.
Qu’ils arrêtent juste, par Halista, qu’ils arrêtent…L'instant d'après, le nain derrière elle était partit. Ne restait donc plus que Barnel, l'agresseur et l'agressé.