Le premier jour...

Quelque chose a changé…
Je le sais, je le sens.
J’ai cette étrange impression qui me hante, me dévore…ce sentiment diffus d’avoir perdu une partie de moi-même…une partie que l’on nomme innocence.
La vie chez les parias m’a endurcie, bien sûr. Mais la semi-mort de Vegas a cassé quelque chose, la fragile corde de la candeur sur laquelle jusque là, je jouais la funambule. Elle s’est brisée et moi j’ai heurté de plein fouet le sol de la barbarie.
A quoi bon se battre pour le bien et lutter pour des idéaux aussi naïfs qu’illusoires?
Le monde qui m’entoure a perdu le voile, ou le filtre appelez ça comme vous le voulez, dont je l’avais recouvert. Et il m’apparaît aujourd’hui tel qu’il est, dans sa brutale réalité.
Pas de Dieu, pas de paradis, pas de raison…
Reste l’absurde…et la mort.

La mort…quel sujet fascinant.
Jusque là, son simple nom me répugnait instinctivement. Et l’idée de meurtre se heurtait à mes principes préconçus, à toutes ces choses que l’on enseigne aux enfants: respect des autres, importance de la vie, et encore bien et bien d’autres bêtises du même acabit.
J’ai déjà tué… et je réalise aujourd’hui que je ne m’en porte pas plus mal. Aucun de ces cauchemars ou de ces remords tourmentés que l’on me promettait.
Je n’ai plus peur de tuer, après tout, la vie n’est qu’un jeu.
Pile je gagne, face tu perds…

Devant ma glace, sur mon visage, je trace deux lignes rouges. Mon masque de guerre à moi.
Et je regarde longtemps le reflet que me renvoie le miroir.
De grands yeux dont le coté perçant cache difficilement un voile de tristesse. Voile qui recule et recule encore pour se dissimuler. J’ai aussi compris que la sensibilité ici, n’est pas un atout.
J’observe comme si je les voyais pour la première fois, chacun des traits de mon visage. Harmonieux, certes, mais rendu plus durs, plus acérés par les traces de peinture vive.
Lorsque je me grime de la sorte, c’est comme si je laissait s’exprimer une autre Edelweiss qui, depuis longtemps, attendait son heure.

Et, toujours fixant le reflet de cette inconnue en face de moi, je me surprend à parler tout haut.
Je ne tuerai pas pour le plaisir mais lorsque qu’il le faudra, c’est sans remord que je tirerai ma flèche.
Je ne renoncerai pas pour autant à mes vieux principes dans leurs intégralité…non, j’aurai trop peur de me perdre, de m’égarer dans des brumes dont je ne suis pas maître. Mais je vais devoir apprendre les concessions…le mal est parfois un bien…
Je ne m’écraserai pas devant le comte et sa clique de tueurs. Et ils risquent d’être surpris maintenant que les barrières que j’opposais entre moi et la violence sont tombées.

Ma voix résonne dans ma cabane, et plusieurs fois, je m’entend répéter les même phrases, un peu comme un nouveau règlement que je m’impose.
Un règlement dangereux.

S’impose alors à mon esprit, un vieil adage mainte et mainte fois entendu. Il dit :
Aujourd’hui est le premier jour du reste de ta vie…
Mon dieu…C’est tellement vrai.