Un réveil inopiné

Le prince Kälis était un grand homme. De son vivant il fut un illustre maître sorcier redouté par sa puissance sans limites. Mais sa soif de pouvoir exacerbée finit par lui coûter la vie. Ainsi, tout excès entraîne des conséquences.

Aujourd’hui encore, l’on raconte que son tombeau, situé au cœur de la Nécropole d’Ykual, reste une merveille d’architecture et de beauté. La salle est restée la même bien que les années passent, maintenue en l’état, dirait t-on, par les sources de magie émanant encore du sarcophage du Prince déchu . Les moins téméraires affirment que quiconque s’y approche de trop près est condamné à une mort atroce et tourmentée. Les plus téméraires ne sont plus là pour l’affirmer…
Ce lieu, qu’affectionnaient jadis les Parias d’Ykual, bien après l’ancienne civilisation qui vouait déjà un culte à ce somptueux monument, est resté dangereux…et maudit.

Ci-gît Sieg Hart, le Seigneur Noir.
Jadis, redoutable sorcier des terres de SarWyen, qui semait chaos et destruction sur son passage. La simple évocation de son nom suffisait à faire fuir les couards et même certains valeureux guerriers.







Une lueur déchire le ciel. Une grande plume noire descend lentement des nuages et vient finalement se poser sur la voûte de l’imposant bâtiment.

Au même moment, mais plusieurs dizaines de mètres plus bas, loin sous terre et sous le tombeau du Prince Kälis, une goutte d’eau vient s’écraser sur le sol étincelant, dans un bruit rompant le silence de mort qui règne dans la Prison de Glace, une vaste salle dans laquelle Sieg Hart dort d’un sommeil profond.

Enfermé, Condamné, Enchaîné, Méprisé, Humilié !

Le mage noir est attaché à un pilier central, une épaisse colonne recouverte de givre comme tout le reste de la salle. Le froid est le maître mot. Il se mêle aisément au silence et à l’obscurité.
On ne connaît pas exactement l’usage véritable de la pièce ni de quand remonte sa création. Depuis des années, des siècles, des millénaires peut être, il y fait tellement froid que la glace s’est emparée de chaque recoin, recouvrant toute chose.

Cette prison est magnifique en ce sens. Elle sied à Sieg Hart de par la froideur et la beauté éternelle qu’elle inspire. Elle est inébranlable.
C’est un endroit unique qui semble avoir traversé les âges, sans que cela n’altère en rien sa magnificence. Même si toute trace de vie s’y est éteinte depuis bien longtemps…

Le sorcier dort paisiblement. Un sommeil de mort. Imperturbable.
Son visage, recouvert d’une fine couche de glace, comme l’ensemble de son corps, demeure si calme, si blanc, si…pur. L’homme ne respire pas.






La glace, pourtant, fond. Progressivement.
Et déjà des murs l’eau commence à ruisseler. Et déjà du sol des plaques se forment et commencent à craqueler. Les épaisses chaînes enchantées qui retiennent le sorcier prisonnier se font de plus en plus visibles à mesure que fond le givre.
Une paupière s’ouvre, lentement. Puis l’autre suit.

Les pupilles noires scintillent.

Les yeux sont tristes.

Les lèvres, encore gelées par le froid, commencent à remuer. Des sons inaudibles. Des gémissements. Des lamentations peut être.
Puis une phrase. Une seule phrase parvient enfin.

« Qu’il en soit ainsi. »

Sieg Hart est maintenant conscient, mais son esprit est en proie à mille tourments. Dans sa tête des images se bousculent. Des souvenirs ressurgissent. Des noms, des visages.
Il se souvient des guerres, du sang versé, des atrocités qu’il a sans doute lui-même commises, des jours tristes, des jours heureux.

Bientôt son corps sera libéré. Les chaînes magiques déjà se brisent sous l’effet du froid mordant. Est-ce la magie elle-même qui lui a permis de se réveiller ? Sa magie ou bien celle du défunt Prince ?

De la glace émergent les bras. Deux bras blancs luisants et fébriles.

Le cœur, après tant d’années d’inactivité, se remet en marche. Il bat doucement, lentement…

Le sang déjà irrigue de nouveau son corps gelé.

Le corps est atrophié, fatigué.. Mais Sieg Hart est debout, bien que très diminué physiquement. Chaque pas, chaque mouvement est un supplice. La sortie est si loin…
Des dizaines, des centaines, voire des milliers de galeries parcourent les souterrains de la Nécropole. Même les Parias n’osent s’y aventurer trop loin de peur d’être condamné à y errer éternellement…

Sa respiration est faible. Son souffle gelé .
L’homme continue sa progression à travers la multitude de galleries plongées dans les ténèbres. Il sait qu’au loin, bien loin, des milliers de marches plus haut l’attend sa liberté qu’il caressait tant.
Et à mesure qu’il progresse dans le labyrinthe de glace, parsemé ça et là de quelques torches millénaires brûlant grâce à la magie, des craintes lui reviennent à l’esprit. Il s’interroge, se questionne sur le genre de personne qu’il était autrefois et de ce qu’il fit.

La Marque reprend vie.







Le sorcier maudit s’arrêta.. La peur l’envahit soudain. Une crainte revenait sans cesse le hanter.
‘Autrefois, dans le monde d’en-haut, avais-je été au service, pendant tant d’années, de l’Ordre ou bien du Chaos ?’ pensa t-il.

Des frissons lui parcoururent le corps.
Il pouvait à présent mettre des noms aux visages qui animaient son esprit. Pas seulement des visages. Des lieux, des actions, des hauts-faits.
Tout cela se mêlait dans sa tête de façon si peu naturelle et si lointaine qu’il s’imagina ne pas en être lui même l’initiateur.

Les Parias…
Shariel, qu’es tu devenue, toi et tes alters-ego ? Zachariel, ange déchu, en quelle partie des Enfers as-tu sombré ? Rico, es tu toujours en vie quelque part dans la Nécropole ? Il repensa à Saucar, un vieux Saurus mort ici même, dernier rescapé de la seule famille qu’il n’aurait jamais eue. Et à Ely, responsable de sa sentence, une elfe aussi belle que puissante. L’image d’un centaure lui parcourut l’esprit l’espace d’un instant. Ils étaient deux. Loops et Onuha… Le nécromancien Silassryn, hantait-il encore ces lieux ?
Et puis, le maître des lieux, le comte Saritram. Ce vieux vampire éternel, nul moyen de s’en débarasser. La mort n’avait pas arrangé les choses…infect et insupportable.

Sieg Hart voulait-il vraiment les revoir ? Il ne se souvient même plus de comment il s’était comporté jadis à leurs côtés…

Le Soleil Noir, le Cercle des Ombres, l’illustre capitaine Vegas, Myky, Silkael,…
Les mélomanes éternels, le sont-ils encore ? L’homme se rappelle tristement. Vahn, qu’es tu devenu ? Aku, Shandora, et bien d’autres encore…


Et puis…le Prêtre Noir.

Il trembla.

'Mon vieil ami...' pensa t-il.

Oublié...depuis tant d'années..







Le sorcier sent à présent des marches se dresser à ses pieds. Il va entamer la remontée. Laissant ses pensées de côté, rassemblant ses dernières forces, usant de ses ultimes onces de magie, l'homme au teint de glace avance lentement le long des énormes escaliers conduisant au tombeau sacré de Kälis.

L'ascension est épuisante. Et bien qu'il ait dormi si longtemps l'homme est en proie à la fatigue. Ses traits paraissent plus marqués.
Il fait alors une pause pour récuperer. L'air chaud venant d'en haut lui brûle les poumons. Il souffre.


Bientôt...